vendredi 1 octobre 2010

Je ne fais jamais la queue

Trésorier de la ligue extraordinaire des justiciers à huit ans

Vice-président de l’alliance des orateurs à seize,

J’observe la vestale dans le bureau de la principale

Reine déchue des pom-pom girls

Chantre de l’abstinence enceinte de huit mois

Simplement Dire NON

Battue par le père encore puceau

Capitaine de l’équipe de football

Mobile home, camping car, week-end à Atlantic City, mariage à Vegas, nuit de noces dans un motel, à des années lumières du Caesar Palace

Du rêve américain de troisième catégorie

Interdit aux moins de 18 ans

***

Je ne tolère pas la violence faite aux femmes.

Saute à la gorge du père.

Maintenus les bras, l’emprise est sensuelle et violemment calculée.

Disparue l’encloquée. Nous restons ainsi comme au spectacle. Plus rien ne bouge. Chocs de titans, visions de luttes patriciennes. Charlton Heston et Stephen Boyd.

Je desserre l’étreinte. Mon regard, un coup de dague qui transpercerait son corps. Il décoche un sourire. Point de mépris. Subjugué, il remercie. Gratitude de l’homme blessé par sa propre infamie. Erreur jeune. Et il me faut l’embrasser. Maintenant. Sa force contre la mienne, d’égale à égale. L’amour brut.

***

J’obtiens toujours ce que je veux

Ma grand-mère

J’ai huit ans

Une fois par semaine on se retrouve chez elle

Puis c’est toujours le même trajet jusqu’au McDonald’s au coin de la rue

Une fois par semaine

Quatre fois par mois

Quarante-huit fois par an

Peu importe les vacances scolaires et les anniversaires

Je vais avoir dix-neuf ans en octobre

Ma grand-mère est morte l’été de mes quinze ans

Un samedi

Faites le calcul

Huit ans

Pas encore végétarien

Oui, je voudrais un cheeseburger avec des frites et du coca. Une sucrerie pour me remercier de l’avoir accompagnée à l’église. Repas familial qui fait suite à la communion dominicale.

Quelque chose qui ne va pas

Cela n’a pas le même goût

Cela doit avoir le même goût

Personne n’a le droit à l’erreur là-bas, c’est bien connu, là-bas, pas question de dire que tout est affaire de goût,

Le goût, lui, est figé dans le temps, comme celui du coca, il est breveté, déposé, standardisé, pas question d’en changer, autrement c’est publicité mensongère et délit d’initiés.

QUELQUE CHOSE MANQUE

Le cornichon

Coupé en deux

Chaque tranche disposée sur la tranche de fromage qui se fond en elle

La part manquante

Son croquant, sa saveur légèrement aigre

Absence qui ruine le sandwich et au-delà, mon plaisir

Terriblement seul

Trompé

Ce n’est pas grave, qu’ils disent. Ce n’est qu’un gosse, il ne va quand même nous piquer une crise

Seulement ils ont tort

Je peux faire la différence entre un cheeseburger avec cornichons et un cheeseburger sans cornichons. Je les ouvre à chaque fois ces putains de cheeseburger pour m’assurer que tout est à sa place

Chaque chose à sa place et une place pour chaque chose

Je perds pied

Hurlements qui feraient rougir nos dinosaures en peluche

Torrents de larmes, le nez qui coule, la morve et les larmes hideuses

Se rouler par terre, je l’aurais fait si le linoleum m’eût davantage inspiré et puis finalement si, je me lance, renverse le plateau et mime une danse épileptique dans le bruit de crachat des milkshakes qu’on aspire à grand renfort de paille plastique

Co’nichon ! Co’nichon !

Co’nichon ! Co’nichon ! Co’nichon !

Sirène détraquée

Ma grand-mère jette des regards de tous les côtés

Un homme de trente ans

Contours brouillés par mes larmes

Visage grave

Entre l’index et le pouce de la main gauche les deux lamelles de cornichon qu’il a extrait de son propre cheeseburger

Il reste là un moment

L’homme aux contours brouillés

Attend que je le voie

Attend que j’accepte

La part manquante dont il se défausse

Volontiers

Je cesse mon cinéma et accepte l’obole

Fondante sur ma langue

Le goût aigre et salé, mélange de morve et de larmes

Merci

J’ai complètement oublié le sandwich

Il m’aide à me relever

Bon garçon

Et il m’ébouriffe les cheveux, comme on l’aurait fait à un chien à qui l’on donne un morceau de sucre

***

Je sais que je serais célèbre un jour

Première publicité à cinq ans

Pour un magasin de matelas

Robe de princesse rose pâle et diadème en strass

La marque du matelas

Diva

Tu verras, ce sera très drôle, tu vas seulement t’assoir sur le lit

Lit pas matelas

La mère maquerelle

Et poser

Le matelas était recouvert d’un couvre-lit avec plein de mots dessus comme sur le journal de grand-père

Je ne sais pas lire mais je reconnais une lettre

Le serpent

Qui siffle à mon oreille

L’haleine fétide du caméraman

Le ventre rebondi de maman qui attend mon petit frère

Le ventre rebondi de papa

Un visage de petite fille pour chaque mot

Tristesse, c’est le mot choisi pour mes yeux

Boudeurs, comme à la maison a dit maman

Regard vide

Tristesse

Papa devant la télé depuis qu’il a perdu son travail. Avant que la bière ne coule à flot.

Maman qui se découvre de nouvelles rides chaque jour

Tristesse donc

Prendre la pose

J’ai même mouillé mes yeux

Mes doigts à la bouche

Mon pouce

Je ne pense pas que cette pub ait eu beaucoup de succès

***

Métro. Je mange un sandwich assis sur le banc en carrelage. Il y a du monde assis partout qui arrivent et qui mangent comme moi. Un homme et une femme arrivent, nous considèrent et l’homme se plaint que l’on mange dans le métro. Je parle au téléphone avec Camille tout en finissant mon sandwich.

Dans la rame, l’homme me vole un minuteur qui se trouvait apparemment en ma possession qu’il me rend aussi sec. Je lui demande s’il n’est pas trop vieux pour voler ainsi. Je manque mon arrêt, reste encore longtemps dans le métro.

Dehors dans la rue, j’arrive devant une boulangerie à ma droite et un garage à ma gauche. Je veux voler de quoi manger car j’ai très faim. Je ne le fais pas. Dans le garage, je trouve une sorte de taxi van qui appartient à une société dans l’évènementiel. Ma carte Imagin’R, que je voulais utiliser pour m’en servir, a été brisée dans la gueule d’un chien qui me la rapportait. Dans un bar, j’essaie de négocier avec un homme qu’il me prête la sienne mais un troisième homme dit qu’il devait travailler pour lui mais n’a jamais voulu.

Je retourne au garage, passe devant la boulangerie dont le rideau de fer descend, c’est l’heure de la fermeture, j’ai toujours faim, je veux toujours voler de quoi manger, je baisse la tête et aperçois une femme qui me fixe. Une caméra à l’extérieur me dissuade de tenter quoi que ce soit.

Dans le van, c’est l’orgie, je suis tout de suite attiré par un jeune homme aux cheveux noirs qui fait l’amour avec une fille. Je tente de m’approcher de lui mais il décline l’offre d’aller plus loin après que je l’ai embrassé. Je le vois ensuite faire l’amour avec un garçon tout en continuant avec la fille. Le garçon a aussi les cheveux noirs et lui ressemble presque trait pour trait. Je suis dégoûté. Je tente avec lui, l’embrasse. Voyant que cela n’ira pas plus loin, je demande à la fille où se trouve la femme aux cheveux roux et au teint de perle, à l’allure transgenre, avec qui j’ai sympathisée plus tôt et dont je viens subitement de me souvenir. Elle me répond qu’elle gâchait l’ambiance alors elle est partie. Je la distingue, assise au loin. Dans ma tête des lignes comme celles sur le plan du métro de multiples couleurs se fusionnent comme pour représenter l’orgie. Quand je tente de pénétrer l’un des garçons, ma ligne devient verte.

Rue. Je croise une vieille camarade de classe de l’époque de l’école élémentaire, elle a aussi les cheveux roux, je l’ai déjà croisée plus tôt. Nous échangeons quelques mots, elle se rend à la bibliothèque. Je prends conscience que je suis accompagné, nous allons à Virgin.

Devant l’entrée du cabinet d’avocats pour lequel je travaille, tous les participants de l’orgie et moi attendons de pouvoir entrer. Je suis accroché à un lampadaire et le remonte comme lors d’un lapdance. Je vois beaucoup de gens. Tous ont l’air hypnotisé. Nous entrons, accompagnés de mes patrons à qui je parle sur le ton de la plaisanterie. Nous échangeons des sourires.

A l’intérieur, ceux venant du van se dispersent, un show chorégraphié se prépare. Des chaises pour le public ont été disposées. Je m’assois et me demande où se trouve Lucas. Je me lève, me rends aux toilettes, urine et sort. Je passe dans la pièce d’à côté et trouve Lucas gémissant, recouvert d’un drap, allongé sur un sofa, en train de se faire masturber par un autre garçon. Je veux rester mais je sens qu’ils ne veulent pas. Je suis invisible. Lucas, au moment de jouir, crie : T’es un dieu ! Ils filent ensuite sous la douche. Je ressors, me dis que je suis content qu’il soit heureux.

Dans ma maison natale, j’aperçois Angela Lansbury, assise sur sa valise à l’extérieur, devant le garage, attendant un train pour le Lancashire, comme me l’indique l’annonce SNCF. Je crois rêver. Dehors, arrivant vers la terrasse, j’aperçois mon ami américain René, son petit-ami Patrick et la moitié des étudiants de Yale qui apparaissent petit à petit de nulle part. Je leur demande de respecter les lieux. Je comprends ce qui se passe. La pensée magique. J’ai la vision d’une montre bloquée toujours sur la même seconde qui se répète encore et encore. Je rentre dans la maison. Ma sœur est assise devant la télévision, dans le salon, et ma mère descend de l’escalier qui mène à nos chambres. Elle me demande ce que font ces deux jeunes filles blondes dans la maison. Je réponds qu’elles sont en visite. Ma mère dit que cela va coûter très cher, que mon argent ne sert pas à cela. Je lui dis qu’elles ont déjà payé quatre euros. Le salon, reconverti en self service, montre une file d’attente réservée à ceux ayant déjà acheté leur billet. Woodstock. Je parle à l’une des filles à l’étage, lui dis que l’on va installer une salle de bain à l’extérieur ainsi que de quoi dormir. Nous sortons. Je ferme les yeux et souhaite que cela se matérialise devant moi. Je rouvre les yeux, cela n’a pas marché. Je ne sais pas quoi faire. Je me réveille en sursaut.

***

Lorsque l’on m’a demandé de me replonger dans mes souvenirs d’enfance, j’ai d’abord songé que d’enfance, je n’en avais point eu. La première image qui m’est ensuite venue à l’esprit est celle de ma mère, assise devant sa coiffeuse, maniant fermement la brosse qu’elle faisait courir le long de son épaisse chevelure brune. Trois fois chaque jour m’avait-elle dit et je suis encore ce précieux conseil de beauté qu’elle m’a transmis. Ensuite, des odeurs, son shampooing à la fraise, toujours utiliser un shampooing pour enfant, autrement tu abîmeras tes cheveux, son parfum, Chanel n°5 que papa lui offrait chaque année lors de son anniversaire. Je me rappelle aussi que je restais à l’observer le soir quand elle se préparait pour sortir dîner ou à une première. Elle me dispensait toujours quelques menus conseils. Porter seulement de la fourrure en hiver, ne pas trop insister sur le maquillage autrement on faisait fille des rues comme elle disait. Je voulais être elle. J’aurais donné n’importe quoi. Je devais avoir trois ans. Le flacon de N°5 trônait sur la coiffeuse. Je m’en aspergeais, saisis le bâton de rouge à lèvres. Plus tard, je serais comme elle. Quelques années après, on la retrouva nue dans la baignoire. Je croyais qu’elle s’était endormie. L’eau était du rouge de son bâton à lèvres. Je l’embrassais sur la joue pour la réveiller. Sa peau était froide mais dans le creux de son oreille exhalait encore l’effluve de N°5.

Clay x

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